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samedi 9 juin 2018

Irlande avortement catholicisme ouverture mai 2018




« L’Irlande rompt catégoriquement
avec des siècles de prohibition de l’avortement »,
c’est un des titres par lesquels Le Monde relatait
le vote du 25 mai 2018 sur la légalisation de l’avortement.

Que 2/3 des voix irlandaises, et parmi elles celles de nombreux catholiques, se soient portées vers l’ouverture ne doit pas être considéré comme une défaite, c’est au contraire un signe incitatif pour l’ensemble de l’Église. Ce n’est pas une condamnation de toute morale chrétienne sur la sexualité et la reproduction, c’est au contraire une invitation à redéfinir comment le respect de la personne humaine peut et doit s’exprimer au mieux tout au long du processus de reproduction. Et quel accompagnement la communauté chrétienne pourrait offrir à celles et ceux qui tiennent compte de sa parole.

Dès le début de Louvain-la-Neuve
Il y a 50 ans, j’avais beaucoup travaillé ce sujet et déjà dans les années pionnières de Louvain-la-Neuve, l’attitude envers l’IVG dont la pratique se répandait, avait déjà été sujet de confrontation entre chrétiens de la ville nouvelle.
Pour les uns c’était clair. Dès la pénétration d’un spermatozoïde dans un ovocyte féminin, il y avait automatiquement un nouvel être humain, tout aussi sacré « dès le premier instant de son existence » que sur son lit de mort. Et Dieu lui donnait une âme immortelle qui abandonnerait un jour ce corps pour rejoindre le Ciel « dans l’attente de la résurrection ». Toute entrave au déroulement du programme de vie de cet être était un crime, condamné par une extension hasardeuse du commandement du « tu ne tueras pas », et passible dans certains pays des Cours d’Assises. Dans l’histoire récente de l’Église elle entrainait une excommunication automatique. Selon cette conception le blocage d’une masse de 8 cellules était aussi grave qu’un assassinat.
Pour d’autres chrétiens, la mise au monde d’une nouvelle personne humaine se faisait au cours d’une longue « émergence » dans laquelle la reconnaissance, l’accueil au nom des humains par un couple, ou parfois seulement par la mère, jouait un rôle essentiel.
Dans les articles de presse qui ont encadré ces jours-ci la réflexion sur le vote irlandais, j’ai retrouvé les mêmes oppositions qu’il y a 50 ans. Des Oui et des Non sur deux pages de La Libre Belgique, entre une enseignante de l’UCL et un jésuite rappelant une doctrine intangible.
C’est pourquoi j’ai voulu, dans un petit texte, rappeler ma position d’il y un demi-siècle. À cause de la lenteur de l’évolution de l’Église, elle reste d’actualité. 

Mon intervention dans la thématique Biologie et Morale
Pourquoi autour de 1970 avais-je, pour répondre à de nombreuses demandes, écrit plusieurs articles sur le thème général « Biologie et Morale » ? À l’époque on utilisait peu le terme bioéthique et une morale attachée au sens des valeurs me stimulait davantage.
D’abord parce que c’était ma compétence et mon métier, et aussi parce qu’exercer une liberté de parole équilibrée et cohérente est le principal défi de ma vie. Ma compétence. Un doctorat en Sciences biologiques avec une thèse sur la neurophysiologie de la reproduction. Un baccalauréat en Philosophie avec une passion particulière pour la philo des sciences où j’ai reçu les premiers cours de Jean Ladrière. L’équivalent de deux cycles en Théologie. Et les quelques cours et stages de Pédagogie menant à l’agrégation louvaniste.
Mon métier. La recherche et l’enseignement en Physiologie animale (sauf erreur j’ai donné le premier cours de Neurosciences à la Faculté des Sciences à LLN). Parallèlement j’ai fait partie, en 1970, de l’équipe pastorale, laïcs et prêtres, de la Paroisse Universitaire-Communion de Louvain. Une paroisse qui voulait ouvrir des pistes pour l’Église universelle sur l’égalité des femmes et des hommes dans l’Église, la justice dans le monde, le dialogue entre sciences et convictions...
Enfin, au sein de l’asbl Centre Galilée, j’animais depuis 1965 un travail de « partage des savoirs » sur les grandes questions posées par les avancées scientifiques et technologiques des années 60 et 70.

Une lente émergence avec des seuils significatifs différents pour chacun.
En 1970, afin de préparer le nouveau cours de Physiologie Animale que je partageais avec mon collègue Fernand Baguet, issu comme moi de l’écurie FNRS, j’avais tenté un large état des lieux de la Physiologie du comportement de reproduction. J’avais lu avec attention les passages d’articles et de livres décrivant et commentant le processus de la reproduction humaine. Surprise ! dans la littérature scientifique beaucoup d'auteurs mettaient en évidence un seuil important pour elles dans l’émergence d’une personne humaine. Pour Jacques Monod, célèbre pour sa leçon inaugurale au Collège de France en 1967 et ensuite son livre sur « Le Hasard et la Nécessité » en 1970 (j'ai été invité à la RTB pour parler personnellement avec lui), la mise en route de cellules nerveuses était essentielle car son être humain était un être de connaissance. D’autres considéraient comme seuils cruciaux l’implantation dans l’utérus, le battement de cœur, le mouvement perçu par la mère, la fixation du sexe, la ressemblance avec un visage d’enfant, la fin du gros œuvre pour les organes… Pour marquer des étapes dans la lente émergence de l’individu chacun privilégiait comme seuil critique un aspect biologique objectif correspondant à sa vision personnelle de l’homme.
Convergence : la période de 12 à 14 semaines était souvent considérée comme une période cruciale.

Pourquoi chercher un début précis ?
Pourquoi, alors que la biologie décrit le plus souvent une lente émergence, vouloir fixer un début précis à l’individu voire à la personne humaine ?
Est-ce dû à la conception d’une âme liée pour un temps à tout individu humain et s’en échappant au moment de la mort ? Rappelons-nous cette légende du peseur d’âme, tentant de vérifier ce départ avec une balance très sensible.
Faute de pouvoir déterminer le moment exact de la mort (la mort ne se définit-elle pas par l’irréversibilité toujours imprécise ?) on a cherché le moment clair du début. Et lorsqu’en 1875 on découvrit la fécondation animale chez l’Oursin, on a cru toucher un point de départ précis : l’entrée d’un élément masculin dans une cellule d’origine féminine, et leur fusion. Le développement des connaissances sur le rôle des chromosomes avait permis d’enrichir la vision d’un programme qui allait se dérouler. Intervenir dans ce déroulement c’était s’opposer à un Dieu programmeur, et tout le monde sait qu’il est risqué de toucher aux programmes d’un autre.
Mais une connaissance plus fine de l’embryologie allait tempérer la présentation. Les patrimoines venant du père et de la mère ne travaillent pas de concert dès leur introduction dans l’ovule. Ils restent indépendants un certain temps. Et surtout il n’est pas certain qu’ils ne soient à l’origine que d’un seul individu. Classiquement l’ovule fécondé se clive en 2 au jour 1, en 4 au jour 2, en 6-8 au jour 2, et prend ensuite une forme de framboise ou de mûre (morula) dont comme pour le fruit les globules peuvent se détacher et parfois se réaccoler. Chaque globule ou groupe de globules se touchant peut donner dans la suite un individu humain, ce qui est à l’origine des « jumeaux vrais ». Des séparations incomplètes produisent parfois des enfants siamois.
La reproduction asexuée existe donc dans l’espèce humaine. Et donc avant la fin de cette période d’environ 6 jours on ne peut pas parler d’individu (non divisible) puisque des divisions peuvent se produire. Jusqu’au stade morula, de 16 cellules et plus, on est devant une communauté d’organismes humains potentiels, chacun totipotent, qualité qu’ils perdront sans délai.
La fin de cet épisode est à peu près contemporaine de l’implantation dans l’utérus maternel. Implantation à haut risque d’avortement spontané. Dans les années 60 l’auteur, Arthur Hertig, que j’avais consulté pour la rédaction de mon cours à l’UCL estimait plus de la moitié des ovules fécondés n’aboutissait jamais à un enfant vivant, souvent dû à l'échec de l'implantation dans l'utérus. À l’époque contemporaine cette proportion est évidemment très dépendante de l’accompagnement médical comme du comportement de la mère. Mais l’image de fécondation qui aboutirait le plus souvent à une naissance est à oublier.
Des auteurs comme Roger Troisfontaines avaient abordé comme théologiens catholiques la question des embryons et fœtus jamais nés. Les embryons et fœtus jamais nés seraient confrontés à un choix définitif pour ou contre le Dieu amour. Évidemment cela troublerait sans doute l’imaginaire de concevoir un ciel dans lequel la majorité des âmes humaines seraient celles d’embryons et fœtus jamais nés.

Vie, vivant, individu, personne
Ces termes sont parfois utilisés de façon équivalente, des groupes s’appellent « Jeunes pour la vie » ? Mais la vie est un fait, c’est une propriété particulière de la matière. Des vivants, des organismes vivants jouissent de cette vie dans une extraordinaire biodiversité génétique et écologique. Un individu vivant est un organisme d’une communauté de vie.
Pour moi, depuis 50 ans, la personne humaine, n’appartient pas au vocabulaire de la biologie. Lorsqu’on m’a sommé de répondre : Un embryon « est-il une personne humaine, biologiste répondez par oui ou par non ? », j’ai toujours refusé une réaction sommaire. Un biologiste peut décrire une évolution, indiquer des caractéristiques d’une étape, inventorier des techniques pour influencer le développement ou son interruption… le mystère de la personne humaine lui échappe.
Une personne humaine ne se révèle-t-elle pas par la rencontre entre une entité biologique arrivée à un stade de développement significatif, et l’expression d’un accueil par un couple, ou, en cas de désaccord, par la femme. 

La maladie de Tay-Sachs ou idiotie amaurotique familiale. Un exemple éclairant
Dans sa forme infantile c’est une maladie gravissime conduisant le plus suivant à une mort rapide de l’enfant après quelques dizaines de mois de grande souffrance, accompagnant de troubles nerveux et moteurs. La mort peut intervenir par étouffement. Certaines populations de Juifs ashkénazes peuvent comporter 1 porteur sur 30 pour cette maladie autosomique récessive. Des parents qui ont vécu pour un bébé cette expérience difficile et qui savent qu’une nouvelle naissance aurait une (mal)chance sur 4 de provoquer la même maladie se résignent à ne pas avoir de nouvel enfant. La biomédecine proposait alors d’engager une nouvelle grossesse tout en vérifiant par une ponction amniotique la non présence de la maladie. Les parents réservaient jusqu’au moment du diagnostic la reconnaissance pleine de leur futur enfant. Je faisais remarquer il y a 45 ans que cette technique avait permis des naissances que les parents n’auraient jamais risquées. L’avortement au service d’un nouvel être. Heureusement depuis quelques années le diagnostic préimplantatoire a permis de réaliser, pour de nombreuses maladies, des analyses avant même l’implantation dans l’utérus.

Le mieux possible et le moindre mal
Dans notre univers il est difficile de faire des choix aux conséquences parfaites en toute chose. Il y a une morale du mieux possible et une morale du moindre mal. Et le non choix est souvent la pire des options. Face à des enfants nés très prématurément les parents et les équipes médicales sont souvent confrontés au risque d’une vie avec de lourds handicaps mentaux. Et il y a un moment où il faut faire sans long délai le choix de mettre en œuvre tous les moyens techniques pour assurer une existence la plus favorable possible, ou de se concentrer sur des soins de confort et une fin de vie assumée. Ce qu’il a de commun à ces deux options c’est un accompagnement de haute qualité dans lequel la souffrance du petit être n’est pas oubliée et où les parents peuvent concentrer tout ce qu’ils voulaient offrir d’amour.

Biologie et morale. La biologie ne dicte pas la morale
Il y a 50 ans nous vivions encore dans un monde où l’on condamnait ce qui était « contre nature » : l’attirance vers des personnes du même sexe, une relation sexuelle non tournée vers la reproduction, la prétention des femmes à occuper des postes traditionnellement réservés aux hommes, … On s’est aperçu que souvent la « nature » abritait largement des comportements dits non naturels comme l’homosexualité.
Non, la biologie ne dicte pas de normes morales. L’être humain est un être libre dont l’instance ultime est la conscience, la conscience éclairée.
J’invite l’Église à la tradition de laquelle j’appartiens à ne plus se bloquer sur le moment de la fécondation et à ouvrir sa réflexion sur l’accompagnement de tout le processus d’émergence d’un nouvel individu et de son intégration comme personne humaine.
Paul Thielen

Ce texte est écrit à partir de mon expérience de neurobiologiste confronté aux relations entre les sciences et nos sociétés en évolution, pas en fonction des responsabilités que j’ai exercées dans la ville de Louvain-la-Neuve. Mais ce texte tente aussi de retrouver comme mémorialiste les conflits de pensées du temps des pionniers.
Les commentaires sont librement ouverts. J'essaierai d'y répondre sans délai

mardi 29 novembre 2011

Biologies nouvelles, pensées libres et traditions chrétiennes

Rien que des pluriels ! Ces mois-ci je fête mes 55 ans d'entrée en biologie. L'occasion de réfléchir à plus d'un demi-siècle vécu dans une société devenue de plus en plus une "biosociété". Une société transformée de plus en plus profondément par les sciences biologiques. Des bioéthiques marquées différemment par les convictions philosophiques comme celles des libres pensées ou des religions. Biosociété, que pensez-vous de ce mot ?